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Dans les précédentes éditions de cette brochure, datées de 1998 (page 41) et 2000 (page 57), nous avons déjà attiré votre attention sur le danger qu'un certain nombre de pollutions font courir à l'une des ressources essentielles de l'Alsace : la nappe phréatique rhénane.

Inventaire la qualité des eaux souterraines dans la vallée du Rhin supérieur :

 

 

Durant l'année 2002 et au début de 2003, la presse a rendu compte d'une série de pollutions extrêmement préoccupantes. De notre côté, nous avons poursuivi nos investigations sur l'origine des pollutions déjà connues grâce à l'APRONA (Association pour la Protection de la Nappe Phréatique de la Plaine d'Alsace, cartes publiées sur son site internet à l'adresse www.aprona.net). Enfin, dans le bassin de la Bruche, un nouveau forage a été effectué à Gresswiller pour le compte d'une brasserie située à plus de 10 km de là, pour tenter d'échapper à la pollution croissante de la nappe rhénane.
Devant l'inquiétude des populations des communes avoisinantes, et de leurs élus, le comité Bruche-Mossig a réagi en posant publiquement la question de l'avenir de l'approvisionnement en eau potable. Déjà, bien des collectivités locales (communes, SIVOM ou syndicats des eaux) ont été obligées d'effectuer de nouveaux forages pour échapper à la pollution, ou d'interconnecter leurs réseaux d'eau potable pour retarder une échéance qui risque d'être catastrophique. L'augmentation de la population, si on continue de l'encourager, constituera un autre facteur aggravant.
Environ 80% des Alsaciens consomment de l'eau potable pompée dans la nappe rhénane. Sans compter nos amis Badois. Cette nappe, pour sa seule partie alsacienne, contient environ 35 milliards de m3 d'eau, mais en y ajoutant le Pays de Bade et la partie située plus au nord, la quantité atteindrait 45 milliards de m3. Nous profitons donc de la plus grande réserve d'eau douce d'Europe occidentale. 

C'est un facteur vital pour notre région, non seulement pour les ménages, mais pour les entreprises (50% des besoins en eau industrielle) et les cultures végétales (irrigation). Lorsque cette eau est propre à la consommation, il suffit de la pomper à côté de chez soi, à quelques mètres de profondeur. Mais plus elle est polluée, plus il faut construire des stations de pompage éloignées, des réseaux de distribution coûteux et peut-être un jour faudra-t-il construire des stations de dépollution qui seront ruineuses pour les consommateurs, mais très profitables pour leurs constructeurs et leurs exploitants. La nappe est polluée jusqu'à son tréfond (150 m de profondeur maximale) : inutile de creuser davantage. Le consommateur devra payer l'eau de plus en plus cher, tandis que le pollueur, non identifié (dans l'état actuel de la législation), continuera d'échapper à toute sanction ou taxation compensatoire.
Les 20% restants de la population alsacienne consomment, soit les eaux superficielles du massif vosgien (eaux de sources et de captages), soit les eaux contenues dans les pores des roches gréseuses d'âge permien ou triasique. Dans ces grès, on a également affaire à une nappe phréatique, mais cette nappe est souvent morcelée, à proximité du piémont, par les failles géologiques liées à l'effondrement du fossé rhénan. À Gresswiller, ces grès faillés se trouvent à environ 150 m de profondeur, d'où la nécessité de forer. Mais, en définitive, toute ces eaux ont bel et bien une origine pluviale, et non pas fossile comme certains l'imaginent. L'eau s'infiltre directement depuis la surface, ou commence par couler dans les rivières avant de s'infilter dans les alluvions récentes (cailloutis, limons et sables), superficielles, puis dans des roches poreuses ou fissurées, plus profondément. Selon l'importance des réserves d'eau souterraines et du débit qu'on peut en obtenir, les conséquences d'une sécheresse seront plus ou moins atténuées.
Les cartes de distribution des chlorures (mines de potasse), nitrates (agriculture), pesticides (origines variées), solvants chlorés (industries) et métaux toxiques (industries, décharges), publiées par l'APRONA, datent d'une campagne d'analyse précédente (1996-1997). Elles sont très instructives.
Voyons, par exemple, le cas du désherbant apppelé atrazine, et de son dérivé la déséthyl-atrazine. Les taux maximums admissibles sont déjà dépassés dans de nombreux puits et forages. Et les choses ne s'arrangent pas. Au cours de l'été 2002, le préfet du Haut-Rhin a dû interdire la consommation de l'eau par les enfants et les femmes enceintes dans plusieurs communes, en sommant les maires de trouver d'autres sources d'eau potable. En ont-il trouvé depuis ? On l'ignore. Chaque maire est tenu d'assurer à ses concitoyens la fourniture d'eau potable. Mais l'État n'a-t-il pas le devoir de réglementer plus sévèrement la commercialisation et l'usage des désherbants et des autres pesticides ?
On vient d'interdire la commercialisation de l'atrazine, mais en permettant d'écouler les stocks existants. Et les désherbants qui la remplaceront ne sont pas forcément moins nocifs. Interdite en Allemagne depuis longtemps, l'atrazine est d'ailleurs achetée en Italie ou en France par certains agriculteurs d'Outre-Rhin.

Alors, que faire ?
La première mesure consisterait à contrôler, au niveau européen comme dans chaque pays et chaque région, la fabrication et la distribution des pesticides et des engrais. De réserver leur emploi à des sociétés de service agréées, respectant des prescriptions techniques et environnementales rigoureuses, comme aux USA.
Les quantités consommées en Alsace devraient faire l'objet d'un suivi et d'une limitation particulièrement sévères. Leurs résultats devraient être rendus publics à intervalles réguliers, dans la presse. Or, les sociétés de distribution régionales refusent de communiquer les résultats de leurs ventes annuelles.
Qui utilise l'atrazine et plus généralement les désherbants ? Les agriculteurs, bien entendu, mais ils ne sont pas les seuls : les municipalités font désherber leurs rues et leurs parkings, la SNCF ses voies ferrées et ses gares, et chacun de vous les imite peut-être aussi !
Regardez les cartes de l'APRONA (atrazine et déséthyl-atrazine), vous verrez que les points rouges sont concentrés sur certaines villes (Sélestat, Mulhouse, en particulier). Lors d'un épandage agricole, même en respectant toutes les précautions, 15 à 20% de l'atrazine se volatilise dans l'atmosphère en 48 h. On en retrouve partout sur la Terre. Elle s'accumule dans les sols, les eaux et les glaces. On ne connaît pas ses effets à long terme. Et il en est de même pour les 450 autres pesticides utilisés en Europe.

Inventaire la qualité des eaux souterraines
dans la vallée du Rhin supérieur :

 

 

Les mines de potasse du Haut-Rhin viennent de fermer, mais leurs terrils continueront encore longtemps de laisser fuir dans la nappe les chlorures de sodium et de potassium qu'ils contiennent. La carte de l'APRONA montre clairement le trajet suivi par cette pollution saline. Au nord-ouest de Mulhouse, les deux zones colorées en rouge orangé indiquent, par leurs extrémités sud, la position des anciennes mines et de leurs terrils. Le mouvement d'écoulement de l'eau souterraine est rendu bien visible par l'allongement des zones polluées vers le nord-nord-est, et par la dilution des sels, dont la teneur passe de plus de 200 mg/l à 100-200 mg/l dans cette direction (zones jaunes). Les deux traînées convergent et n'en forment plus qu'une seule. Sur cette carte qui date de 1997, l'eau salée atteignait presque le Bruch de l'Andlau. On comprend que la qualité de l'eau de la brasserie d'Obernai, pompée sur place, soit aujourd'hui menacée par cette progression, comme par d'autres polluants (surtout les nitrates).

Inventaire la qualité des eaux souterraines
dans la vallée du Rhin supérieur :

 

En tout cas, voilà une carte qui montre bien l'écoulement sud-nord de l'eau souterraine ! La vitesse étant de l'ordre de 1 km par an, et les prélèvements d'environ 5 milliards de m3 par an, on voit bien que la dilution des polluants et le renouvellement de cette masse d'eau demandent des années, sinon des dizaines d'années. Les pluies et les cours d'eau y contribuent.
L'APRONA prévoit une nouvelle campagne d'analyses pour 2003. Il sera très intéressant de comparer ces nouvelles cartes aux précédentes. On peut parier que les différentes pollutions auront encore augmenté.
En attendant de pouvoir dresser ce constat, voyons quelles sont les grandes sources de pollutions nouvelles dont l'existence a été portée à la connaissance du public durant l'année écoulée.
On apprend que l'entreprise (insolvable) de Produits Chimiques Ugine-Kuhlmann a abandonné en 1965 à Wintzenheim-Logelbach, en amont de Colmar, un énorme stock de lindane, un insecticide toxique, peu dégradable, interdit depuis des années, qui pollue la nappe (DNA du 9 novembre 2002, page Région 3). Des études sont en cours. Règlera-t-on ce problème ? Qui le savait ? Qui a laissé faire ?

L'usine chimique Rhodia Polyamide Intermediates de Chalampé (Haut-Rhin) a laissé échapper d'une conduite environ 400 tonnes de cyclohexane le 17 décembre 2002. La presse en a fait état le 8 janvier 2003 seulement. Les pouvoirs publics et les habitants ont été avertis tardivement. On a essayé de cacher l'importance de la fuite. Une partie de ce solvant, hautement toxique, a atteint la nappe phréatique rhénane, sous-jacente. On essaie encore d'en récupérer le maximum par des travaux complexes et coûteux de forage et de pompage, qui n'ont commencé que le 13 janvier au soir. Le président du Groupe Rhodia est venu faire des excuses. Mais, comme l'écrivait le journaliste des DNA : " L'affaire de l'usine Rhodia Polyamide Intermediates de Chalampé est tristement exemplaire du manque chronique de transparence qui continue d'entourer les incidents dans les industries à risques ". Je me permettrai d'ajouter qu'il est invraisemblable, à notre époque, de perdre une telle quantité d'un produit chimique, alors que les usines devraient, en principe, être équipées de toutes les sécurités nécessaires (capteurs de pression, débitmètres, systèmes de surveillance et d'alerte automatisés).
Il n'y a pas de vraie démocratie ni de sécurité ni de développement durable sans une transparence totale de l'information. Mais cela ne suffit pas. Lisez bien votre journal : combien d'élus locaux persistent-ils à vouloir continuer d'urbaniser les zones inondables, ou à contester le périmètre des zones inondables déterminées par les services de l'État (réunion du SCOTERS, à Blaesheim, DNA du 23 janvier) ? Ils sont légion.
C'est donc à l'électeur de procéder aux changements nécessaires.
L'État lui-même vient d'être condamné pour avoir laissé construire en zone inondable !
Délimitons une bonne fois pour toutes ces zones inondables de la Bruche en fonction de la crue de 1990 et ajoutons-y un bon mètre d'altitude supplémentaire. Si les électeurs et les élus croient pouvoir se permettre d'être irresponsables, et même l'État puisqu'il est son propre assureur (le contribuable est là pour payer), les assureurs ont fait savoir qu'ils en ont assez.

                                                                                                                                    Pr. Jean Mellinger

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