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Les zones humides sont définies par la Loi sur l'Eau (loi n° 92-3 du 3 janvier 1992) : “ on entend par zone humide les terrains, exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d'eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire ; la végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l'année ”. Unezone humide n'est pas forcément inondable, mais le sol y demeure suffisamment imprégné d'eau pour que des espèces végétales caractéristiques puissent y croître.

Dans nos régions, il s'agit principalement de la reine des prés(Filipendula ulmaria), une Rosacée non ligneuse, à petites fleurs hermaphrodites, dont les inflorescences, d'une couleur blanche verdâtre, sont visibles de loin. Elle est très répandue dans les prés humides des Vosges, jusqu'à 1 300 m d'altitude. L'odeur, l'aspect et l'abondance extraordinaire des fleurs attire une foule d'insectes butineurs, en particulier les abeilles. La hauteur de la plante atteint 150 cm.

On y trouve aussi des massettes, Monocotylédones de la famille des Typhacées. L'espèce la plus courante, Typha latifolia, conquiert depuis quelques années les zones humides du lit majeur de la Bruche et les fossés de la N420. On l'appelle “ jonc de la Passion ”, bien qu'elle diffère profondément des joncs et des luzules, qui sont des Joncacées. Ce nom est dû à la présence d'une inflorescence en forme de lance, terminée par un cylindre étroit de fleurs mâles, au-dessus d'un cylindre plus épais de fleurs femelles.

Ces deux plantes sont pleinement développées dans la zone humide de Steinbach, qui s'étend de part et d'autre de ce hameau. On n'y observe pas, pour l'instant, de roseaux, Graminées qui définissent un autre biotope, la roselière. La partie ouest de cette zone humide très typique (photo) occupe la dépression entre Steinbach et la sortie de la N420 vers Barembach, récemment construite en surélévation.

Cet océan de fleurs fait partie d'un site naturel classé en “ zone humide remarquable du Bas-Rhin ” par le Conseil général en 1995, statut confirmé en décembre 2002 par le Préfet, en se fondant sur une nouvelle expertise. Il a bien failli disparaître, victime d'une transformation radicale en zone d'activités artisanales et commerciales.

Ces plantes herbacées de haute taille, non graminoïdes, vivaces, sont appelées des “ phorbes ”, et la biocénose correspondante est une “ mégaphorbiaie ” (méga-, en grec, signifie “ grand ”). Leurs racines résistent à l'asphyxie induite par la forte humidité du sol. Cette biomasse végétale offre le gîte et le couvert à de nombreux animaux : insectes, arachnides, amphibiens et reptiles (strictement protégés par la loi), mammifères, oiseaux.

Aux phorbes s'ajoutent des arbres et des arbustes variés. L'arbre le plus courant en milieu humide est l'aulne glutineux, qui vit surtout le long des ruisselets, protégeant leurs berges contre l'érosion. La pente située entre la route de Barembach à Russ (D204) et la zone humide proprement-dite est colonisée par des prunelliers, des rosiers sauvages, des saules (près des sources), des aubépines, etc. Mais l'ensemble forme un espace largement ouvert, qui convient à des oiseaux migrateurs comme les pies-grièches, le bruant jaune et le tarier pâtre, qu'on y observe chaque année. La fauvette babillarde y niche dans les buissons.

Deux ruisseaux ont été tubés sous la route surélevée qui relie l'échangeur de la N420 au rond-point de Barembach. Au nord, elle est traversée par le ruisseau de la Basse du Boucher, malheureusement asséché par la prise d'eau d’un étang de pêche. Au sud, son dernier affluent (sans nom) longe du chemin piétonnier de Steinbach. Il est alimenté, au passage, par une série de sources issues de la pente. Les cours de ces deux ruisseaux compris entre la D204 et la route, qui appartenaient à la commune de Barembach, ont malheureusement été cédés à un industriel riverain. Il faut espérer qu'ils ne seront pas complètement dénaturés. Autrefois, le ruisseau de la Basse du Boucher s'étalait dans les prés en formant le “ Chemin d'eau ”, peuplé de vairons. Ce ruisseau d'apparence anodine est sujet à des crues violentes, car il draine un bassin-versant d'environ 1 km2, dont le dénivelé atteint 400 m.

Un troisième ruisselet draine le centre de cette partie de la zone humide. Tout ce réseau hydrographique rejoint le ruisseau Steinbach, un affluent de la Bruche, qui doit maintenant passer sous la N420.

La présence de petites mares et de simples flaques d'eau, au printemps, permet aux grenouilles d'y pondre en abondance. Les têtards y sont à l'abri de leurs ennemis les poissons. Des truites remontent encore dans les ruisselets et, autrefois, le ruisseau de la Basse du Boucher en regorgeait. Après leur métamorphose, les grenouilles trouvent dans la mégaphorbiaie les proies nécessaires à leur croissance et un abri contre les oiseaux prédateurs.En 2002, la découverte de l'espèce de grenouille Rana dalmatina, à côté de la grenouille rousse Rana temporaria, plus commune, et du crapaud commun Bufo bufo, a donné une justification supplémentaire au classement de cette zone comme étant absolument remarquable, du point de vue biologique comme du point de vue paysager.

Quelles sont les bases légales d'un tel classement ?

La Loi sur l'Eau ne définit pas seulement les zones humides : elle impose leur recensement et leur protection. Autrefois considérées comme insalubres et improductives, elles ont été systématiquement détruites par drainage, remblaiement, transformation en champs de maïs, plantation de peupliers, etc. Mais, en dehors de leur intérêt biologique, les zones humides contribuent à l'écrêtage des crues, à la réalimentation des nappes phréatiques et à l'autoépuration des eaux.

L'application de cette loi au bassin Rhin-Meuse s'est traduite par l'élaboration d'un SDAGE (Schéma Directeur d'Aménagement et de Gestion des Eaux), adopté le 2 juillet 1996 et rendu obligatoire le 15 novembre de la même année par un arrêté préfectoral. Toute mesure administrative, projet d'aménagement ou modification quelconque, qui ne prendrait pas en compte les préconisations du SDAGE, serait attaquable en justice.

L'importance des zones humides est reconnue par toute une série de conventions internationales. La France a signé en 1986 la Convention de Ramsar (1971) relative aux zones humides d'importance internationale, la Convention de Paris (1972) sur la protection du patrimoine culturel et naturel de l'humanité, la Convention de Bonn (1979) sur la protection des espèces migratrices et la Convention de Bern (1979) sur la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l'Europe. Elle a décidé en 1990 de participer pleinement à la conservation des espèces animales et végétales menacées de disparition, en commençant par la préservation de leurs habitats. La loi n° 95.101 du 2 février 1995 (dite “ loi Barnier ”) généralise l'obligation de protéger l'environnement, en intégrant au droit français les grands principes du droit international : principes de précaution, de prévention et de correction des dégâts à l'environnement, principe pollueur–payeur, principe de participation des citoyens à cette œuvre indispensable (et, en particulier, des associations).

Parmi les directives de l'Union Européenne, beaucoup s'appliquent à l'eau et à son cycle dans la biosphère : définition de l'eau potable (1980, directive transcrite dans notre droit seulement en 1989), contrôle de la pollution par les nitrates (1991, adoptée en 1993), obligation de traiter les eaux usées (1991, adoptée en 1994 et fixant 2005 comme dernier délai d'exécution). La directive “ oiseaux ” (1979) impose la création de zones de protection spéciales pour de nombreuses espèces. La directive “ habitats ” (1992, adoptée en 1995) étend cette protection des habitats naturels aux plantes et aux animaux autres que les oiseaux, et prévoit pour cela la mise sur pied d'un réseau de zones spéciales de conservation appelé “ réseau Natura 2000 ”.

La prise en compte de l'environnement dans toutes ses composantes, en vue de léguer aux générations futures un patrimoine naturel intact, fait partie de l'intérêt général et peut être opposée à tous les intérêts particuliers. Qu'on se le dise !

                                                                                                                      Pr  Jean MELLINGER

Les reines-des-prés de la zone humide de Steinbach